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Introduction à Poems, de Zoë Lund
par Stephanie LaCava

Les quatre poèmes qui suivent ont été transcrits à partir de feuillets dactylographiés retrouvés dans un entrepôt. Il est peu probable qu’ils aient été conçus pour être rassemblés dans une publication. D’autres poèmes ont été retrouvés, mais ces quatre-ci sont les seuls à avoir été retranscrits par l’auteure en 1986, sur un ordinateur. Ils s’expriment d’une voix mystérieuse – celle d’une jeune actrice, agitatrice, musicienne, auteure, cinéaste et figure culte en devenir, Zoë Lund (née Tamerlis).

« La Vie » a été écrit en 1980, six jours après son dix-huitième anniversaire. La première ligne s’achève par : « Cent noms ». Quelques vers plus bas, on peut lire : « Qui suis-je aujourd’hui ? » Le dernier vers : « Quelque part entre le métro et six pieds sous terre. »

Elle n’est pas sûre de son identité mais laisse entrevoir certaines inclinations : l’action comme seule véritable forme de militantisme (une disponibilité continue pour la grève) ; un goût pour les personnages contradictoires (il y a de la force là où il y a aussi de la lâcheté) ; le romantisme. Le préambule du poème annonce d’ailleurs : « Pour les romantiques… ».

« Profondeur des brasses » a certainement été écrit peu de temps après. Il confronte le lecteur à un monde souterrain et témoigne d’un goût singulier pour les unités de mesure – un effort pour définir les distances, dont certaines semblent venir d’ailleurs.

Un an plus tard, Zoë Lund devient célèbre en tant qu’héroïne du film L’Ange de la vengeance (Ms .45). « La Vie » a été écrit au moment du tournage. Zoë Lund travaille alors en étroite collaboration avec le réalisateur Abel Ferrara pour affiner son personnage, Thana, une couturière muette qui est violée à deux reprises au cours de la même journée et qui décide de se venger.

Peu intéressée par la beauté muette, Zoë Lund tenait à écrire et à réaliser ses propres projets. Sur une coupure de presse de 1983, intitulée « Young Political Filmmaker Shooting at Mount Holyoke » (« Une jeune réalisatrice de films politiques tourne à Mount Holyoke »), on voit une photo saisissante de Zoë Lund qui « prépare un film sur la radicalisation d’une jeune femme », comme l’indique la légende. L’article parle de son « idéalisme intransigeant » et de ses opinions tranchées sur la naïveté des progressistes et des gauchistes américains.

Trois ans plus tard, elle écrit « Légèreté de la pierre de touche » et l’on retrouve la référence aux unités de mesures : « Quand le pied est une mesure composée non de pouces mais de… ». La même année, elle écrit « Guerres de l’opium ». Ce dernier poème témoigne de l’intérêt de l’auteure pour les drogues (elle avait un faible pour l’héroïne et mourrait d’un arrêt cardiaque à trente-sept ans).

Le poème traite également de « décibels » et du passage d’une identité à une autre, voire d’un corps à l’autre :

« Elle meurt dans la vie, je vis dans la mort. »

—Stephanie LaCava, 2023

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Stephanie LaCava est une auteure américaine qui vit et travaille à New York. Elle est l’auteure de deux romans, The Superrationals, en 2020 (édité par Semiotext(e)) et I Fear My Pain Interests You en 2022 (Verso). Elle dirige également un projet d’édition, Small Press.

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Ce texte a été publié en introduction du livre Poems, de Zoë Lund, édité par Small Press et Éditions Lutanie en octobre 2023. Traduit de l'anglais (américain) par Manon Lutanie.

Image : Zoë Lund au 9 E. 10th St. NYC, 1986. Photo : Robert Lund.
© The Estate of Zoë Lund, Robert Lund, 2023.